Dans mon chagrin, rien n’est en mouvement
J’attends, personne ne viendra
Ni de jour, ni de nuit
Ni jamais plus de ce qui fut moi-même
Mes yeux se sont séparés de tes yeux
Ils perdent leur confiance, ils perdent leur lumière
Ma bouche s’est séparée de ta bouche
Ma bouche s’est séparée du plaisir
Et du sens de l’amour, et du sens de la vie
Mes mains se sont séparées de tes mains
Mes mains laissent tout échapper
Mes pieds se sont séparés de tes pieds
Ils n’avanceront plus, il n’y a plus de route
Ils ne connaîtront plus mon poids, ni le repos
Il m’est donné de voir ma vie finir
Avec la tienne
Ma vie en ton pouvoir
Que j’ai crue infinie
Et l’avenir mon seul espoir c’est mon tombeau
Pareil au tien, cerné d’un monde indifférent
J’étais si près de toi que j’ai froid près des autres.
Paul Éluard (1895-1952)
La mort et elle seule enlève tout espoir. Tant que la vie est là, quelles que soient les difficultés, quel que soit le désespoir, tout n'est pas perdu. La vie seule permet de croire encore et encore et encore.
"Ce n'est pas la mort qui nous prend ceux que nous aimons; elle nous les garde au contraire et les fixe dans leur jeunesse adorable : la mort est le sel de notre amour; c'est la vie qui dissout l'amour." Mauriac, Le désert de l'amour
Il y a une certaine opposition entre ce poème et cette citation.
Il faut, d'un côté, donner raison à Mauriac : ce qui détruit l'amour c'est le fait de le vivre, comme si l'amour était fini, limité, allant forcément en s'aménuisant. La mort fixe un souvenir qui ne pourra plus changer car ce souvenir n'a plus de vie réelle, il n'a qu'une existence presque abstraite. Le passé ne change pas, au mieux change le regard sur le passé. C'est pourquoi la mort préserve l'amour tel qu'il était au moment de la disparition de l'être cher. Mais, d'un autre côté, si la mort ne peut nous enlever le souvenir de l'amour, elle nous enlève le vécu même de l'amour, elle nous enlève la perception, la matérialité de l'amour. Or, un amour vécu en souvenir n'est pas un amour réciproque et n'est que rarement un amour satisfaisant et suffisant. Au fond, à quoi servirait l'amour si le premier intéressé, l'autre, ne pourrait plus le percevoir? L'amour non concrétisé, non matérialisé, non vécu dans la réciprocité est presque un amour inutile. Puis, la mort ne préserve rien si ce n'est le souvenir. Comme si, au fond, il n'y avait pas de mort, le souvenir étant là pour la contredire à chaque instant. La mort est donc absence et présence à la fois. L'amour, lui, puisqu'il est vivant, change constamment malgré la persistance d'un noyau. Là est justement sa beauté, dans sa vitalité. Mieux vaut un amour vivant et passager qu'un amour mort et figé.